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CRISTAUX DE BARBARIE

Jean-Philippe Katz
Mon Petit Editeur

cristaux-de-barbariePour l’auteur, les cristaux de la barbarie nazie sont encore incrustés profondément dans la chair de notre époque, plus d’un demi-siècle après. A travers la figure de Charlie Chaplin, la mode du tatouage ou le scepticisme généralisé, il décrit en textes courts ces traces laissées par la plus grande barbarie du siècle. Face à elle comme face aux tragédies actuelles, nous tenterions sans cesse de réinventer notre innocence, quitte à maquiller le réalité…

EXTRAITS

Le violon (p.7)
C’est un fait, les barbares détestent le violon. Streicher était pourtant un notable nazi, et Reich s’y écrit en toutes lettres. Jouer du violon c’est, dit-on, trop jouer sur la corde sensible, en rajouter dans l’effet. Quand les barbares s’emparent d’un archet, ils ne font pas dans la dentelle.
Point de vibrato, leur main ne tremble pas. Avec application, ils ont effacé les violonistes d’Europe Centrale, Tziganes charmeurs et Juifs itinérants, la vie de Bohème leur étant peut être insupportable. Comme tout bon musicien, ils ont studieusement répété l’ouvrage avant sa totale maîtrise. Des couacs inévitables ont jalonné l’apprentissage, mais l’élève doué parvint vite à l’exécution parfaite.
Un vestige pourtant a subsisté quelque temps dans quelques camps, un orchestre composé de condamnés violonistes, flûtistes, joueurs de hautbois… Un souvenir du vieux monde à l’adresse de ceux qui partent, une façon un rien nouvelle de “jouer du violon”, d’en faire un peu trop.
Allez savoir pourquoi ils ont choisi le violon. Parce que l’instrument a une âme ? Et que celle-ci sent le sapin ?
Est-ce parce que les caisses ont des ouïes et qu’elles risquent de tout entendre ? Cet instrument leur paraissait-il démoniaque, lui qui peut exprimer jusqu’à 32 caprices ?
Ils ont haï les joueurs de violon même s’ils les toléraient dans les grands orchestres, leurs magnifiques ensembles dirigés de main de maître par des chefs adulés.
Sur les places des schtetls qui ne sont désormais que des villages, les violons se sont donc tus. Le klezmer est mort.

Les fous (p. 11)
Les schtetls étaient des villages comme les autres, ils avaient aussi leurs fous. Là comme ailleurs un certain respect les laissait en paix. En ville, la condition du fou a longtemps été mauvaise, et chacun peut s’effrayer des représentations passées des asiles. Imprévisible, l’idiot ne peut travailler efficacement, son gène
saute des générations, il rit parfois devant le danger.
Les fous survivants des nazis ne peuvent témoigner, c’est peut-être pourquoi l’eugénisme sous ses diverses formes a survécu au nazisme. La leçon à retenir est donc que le danger vient du témoin et non des choses vues. Le fou présente une autre différence d’avec les Juifs, les Tziganes : on ne lui reproche rien de particulier, et il existe au sein de toutes les races.
C’est ainsi que le fou n’est pas un bon aryen, mais il est aryen tout de même. Enfermer un fou n’a jamais été un crime, même dans des conditions souvent déplorables. Exterminer les malades mentaux n’a pourtant pas été possible grâce aux évêques allemands et leurs ouailles.
Les stériliser a ensuite été possible, dans de nombreux pays, et cela dure encore. La folie est forcément stérile et la raison féconde. Mais peut être que cet eugénisme vient se venger de la nature.
Comme un acte manqué, castrer le fou c’est couper court à toute éventualité d’engendrer soi-même un fou. Reporter sur le sujet dément l’objet de sa terreur.

Né en 1963, Jean-Philippe Katz a remporté le Prix Prométhée de la nouvelle 1996 avec son recueil Violons et Fantômes.

Format : Broché
Nb de pages : 96 p.
Parution : 1 juin 2011
ISBN-10: 2748364686
ISBN-13: 978-2748364682
10 Euros.

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