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UN MONDE DE MOTS
Posté par EuroMedia-Presse dans Biographies, Essais & Documents, Histoire le 3 avril 2012
Anne Cunoe
Bernard Campiche Editeur
PRESENTATION
John Florio est né en Angleterre d’un père italien et d’une mère probablement anglaise ; il a grandi dans les Grisons suisses, puis, après des études à Tübingen, est retourné en Angleterre où cet Européen polyglotte a été le professeur d’italien, et parfois de français (langue qu’il parlait couramment), d’hommes et de femmes issus de toutes les classes sociales - marchands, nobles, artistes, princes et jusqu’à une reine; il se pourrait que Shakespeare ait été un de ses élèves. Son dictionnaire italien-anglais et sa traduction des Essais de Montaigne en anglais sont de véritables monuments, à la fois linguistiques et culturels.
Un monde de mots (titre emprunté au dictionnaire italien-anglais de John Florio) clôt une sorte de trilogie.
Le premier volet, Le Trajet d’une rivière, retrace l’histoire de Francis Tregian, le collectionneur du célèbre Fitzwilliam Virginal Book ; le deuxième, Objets de splendeur. Monsieur Shakespeare amoureux, permet de connaître la première femme écrivain publiée en Angleterre.
La trilogie se conclut sur Un monde de mots, qui raconte la vie et les aventures de John Florio, un des hommes qui ont, de façon ouverte ou souterraine, façonné la culture européenne.
EXTRAIT
La nuit était très noire. Dans le haut mur de la sombre bâtisse, une petite porte, la seule de l’enceinte, s’était ouverte avec un bruit sourd. En scrutant la pénombre, on aurait pu deviner deux hommes. Ils tiraient un tombereau d’où s’exhalait une puanteur pestilentielle.
Ils étaient sortis précautionneusement, en veillant à ne rien heurter, et la nuit les avait absorbés. A cause du mur du couvent, et du tumulus inhabité qui lui faisait face, aucun lumignon n’éclairait leur départ. Ils marchaient avec une hâte qu’un observateur aurait, de jour, pu trouver suspecte. Mais personne ne les voyait. Ils avaient pris soin de choisir une nuit de nouvelle lune. On entendait à peine le craquètement des roues sur le gravier de la ruelle. Ils étaient finalement arrivés à une sorte de terrain vague, où un oeil perspicace aurait sans doute distingué les ruines dans le noir - l’ancien Forum, désert à cette heure-là. Ils s’étaient arrêtés, et avaient attendu. Pas un mot n’avait été échangé.
« Ogni terra ha guerra - tout pays a sa guerre », avait fini par murmurer une voix qui les avait fait sursauter. Elle semblait suspendue dans la nuit - les contours du parleur étaient invisibles ; pas d’étoile, pas la moindre lueur, le ciel était couvert.
« Ogni corpo ha la sua ombra - tout corps a son ombre », avait répliqué une voix peu assurée. C’étaient les formules convenues.
« Le Seigneur soit avec nous », avait conclu la voix anonyme. « C’est toi, Lorenzo ? »
« Moi-même. Que Sa volonté soit faite. »
Le premier obstacle était franchi, ils s’étaient retrouvés. Par une telle nuit, cela tenait du miracle.
« Qu’est-ce que c’est que cette odeur ? » avait repris le nouveau venu. « Vous m’avez amené les excréments de ces beaux messieurs, ma parole. Il n’y a qu’eux pour puer pareillement. »
« On a choisi un chargement qui ne donnerait à personne envie de fouiller », lui avait-on répliqué avec un gloussement sardonique.
« Vous avez le paquet ? »
« Oui. Il est sous les excréments, mais en mauvais état. Et il faut que vous nous emmeniez, nous aussi, parce que nous risquerions qu’on nous torture pour nous faire parler. »
Un silence.
« Ce n’était pas prévu », avait fini par dire le dernier venu. « Mais j’aurais dû y penser. Vous avez de la famille ? »
« Pas à Rome, les miens sont dans le Nord », avait dit l’un.
« Je n’ai personne », avait répondu l’autre, « je suis enfant trouvé. »
« Alors, pas de risque qu’on les arrête à votre place. Allons-y. »
Les deux moines avaient cherché du pied, à tâtons, une surface herbeuse, l’avaient trouvée, y avaient déversé leur tombereau. Sous les détritus, un ballot oblong. Ils avaient déroulé la toile qui l’enveloppait. S’il n’avait pas fait si sombre, on aurait pu voir un homme inerte, à moitié nu. Le plus costaud des deux moines l’avait chargé en travers de ses épaules, comme un paquet.
« Faisons vite, maintenant », avait-il dit d’une voix sourde. « Je ne suis même pas sûr que tout cela ait valu la peine, il est plus mort que vif, votre héros. »
L’AUTEUR
Anne Cuneo est née à Paris de parents italiens, Suissesse par mariage. Licenciée ès lettres et ès sciences pédagogiques de l’Université de Lausanne, puis formation de Conseil en publicité et de journaliste. Ecrivain de livres « »ittéraires » et « documentaires ». Ecrit et met en scène pour la radio, la télévision et le théâtre. Depuis 1981 travaille aussi dans les métiers du cinéma, comme assistante, scénariste, puis comme journaliste et réalisatrice, soit de façon indépendante, soit à la Télévision suisse.
Après une première phase autobiographique, Anne Cuneo découvre, à travers l’expérience théâtrale et cinématographique, les potentialités d’une forme de roman inspirée de la réalité mais susceptible de prendre des libertés avec elle pour en mettre en valeur certains aspects. Utilisée pour la première fois avec Station Victoria, elle a permis l’écriture d’œuvres basées sur des personnages réels. Dans Le Trajet d’une rivière, c’est la redécouverte d’un personnage oublié, et capital, de l’histoire de la musique. Dans Objets de splendeur, il s’agit d’un regard différent sur la vie amoureuse du jeune Shakespeare. Le Maître de Garamond raconte l’histoire d’Antoine Augereau, imprimeur à qui l’on doit maintes caractéristiques de l’orthographe moderne, et de ses rapports avec le plus célèbre de ses apprentis, Claude Garamond. Zaïda est l’itinéraire d’une femme née en 1860, qui, l’année de ses cent ans, entreprend le récit de sa vie.
Anne Cuneo est également l’auteur d’une série de romans policiers (qu’elle qualifie plutôt de « romans sociaux ») solidement enracinés dans la réalité sociale contemporaine. Et enfın, Un monde de mots raconte l’histoire de John Florio, auteur du premier dictionnaire italien-anglais de l’histoire et traducteur de Montaigne en anglais.
Anne Cuneo collabore au Téléjournal à Genève et à Zurich, où elle demeure conjointement aujourd’hui. Ses ouvrages, constamment réédités et traduits en allemand, sont tous de grands succès de librairie en Suisse.
En juillet 2010, Anne Cuneo a été nommée par Frédéric Mitterand, ministre de la Culture de l’État français, Chevalier des Arts et des Lettres.
Parution : 8 septembre 2011
Nb de pages : 560 p.
ISBN : 978-2882412973
Prix : 21,50 €