Jacqueline Berny-Lapalus
Les 2 Encres
La poésie fait surgir l’évidence de la peinture.
La voix d’Icare résonne encore dans le coeur des artistes. Jacqueline Berny-Lapalus la fait entendre dans son livre qui unit son inspiration à celle de Bruegel. Cherchant une correspondance qui les lie, elle fabrique au plus près une rencontre entre image et texte. L’un révélant l’autre.
Avec Icare ou la chute des rêves, Jacqueline Berny-Lapalus ouvre une collection d’ouvrages qui comportent deux titres, celui du peintre et celui du poète.
JACQUELINE BERNY-LAPALU EN PARLE
« C’est le concept qui s’est imposé à moi pour définir et faire voir cette sorte d’entrée dans un tableau. Ce concept n’est pas venu d’abord. Il est venu après, au bout d’un lent processus et d’un cheminement intérieur. Nous sommes visités par certaines œuvres. La rencontre avec elles s’opère dans l’instant, par coup de cœur et effet de choc, qui peut se perdre dans l’épaisseur des jours et semble s’effacer pour toujours dans la multiplicité des possibles. Mais non ! Le travail de maturation fait son chemin. L’œuvre résiste à l’oubli du temps. Elle revient en force dans l’imagination jusqu’à devenir obsédante et incontournable. Elle s’impose désormais. Un personnage nous appelle et vient nous chercher. On l’abandonne encore une fois, puis d’autres. Mais il s’est inscrit dans notre mémoire profonde vierge et vigilante à la fois. Nous ne savons pas encore pourquoi nous aimons ce tableau et à quel point nous l’aimons.
D’autres œuvres se bousculent dans notre esprit pour lui disputer la priorité. Arrive enfin le moment de s’attacher à cette œuvre plutôt qu’à une autre, de la choisir et de lui consacrer beaucoup de temps. On est entré dans la phase où tout ce qui peut relever de l’étude retient notre attention : sujet, composition, lignes et tonalité d’ensemble, formes et couleurs, personnages, objets, décors et paysages…. Le moment est venu de confirmer, d’expliciter et d’enrichir l’impression initiale qui nous avait saisi dans une sorte d’effroi. Mais rien d’exprimable à ce stade, car l’analyse ne sera pas notre point de vue. Il faut encore attendre.
Pourtant, la troisième phase du travail est amorcée. Elle a pris racine dans les deux premières. Le texte va venir. Il va sortir de l’image et se placer sur elle. On se rapproche de l’œuvre comme la première fois. On s’en approche comme l’amant de son aimée, quand tout naturellement ils vont s’unir. De même, le poète scelle son union avec le peintre dans la première phrase de son texte qui fait surgir l’évidence du tableau. Voilà reçu l’instant de l’inspiration qui, donnant le ton et la clef, dévoile le sens du tableau, l’écrit et en propose la lecture INEDITE.
Cette démarche refuse tout procédé systématique. Car il s’agit d’un mariage intime de l’écriture avec la peinture qui réclame à chaque fois virginité du regard, conviction, et paradoxalement, une grande subjectivité.
Ainsi est née L’EVIDENCE qui se partagera dans l’expansion de la pensée et des images. »
EXTRAIT
Cependant Dédale, las de la Crête et d’un long exil, sentait renaître en lui l’amour du pays natal ; mais la mer le retenait captif : « Minos, dit-il, peut bien me fermer la terre et les eaux ; le ciel au moins m’est ouvert. C’est par là que je passerai ; quand Minos serait le maître de toutes choses, il n’est pas le maître de l’air. Ayant ainsi parlé, il s’applique à un art jusqu’alors inconnu et soumet la nature à de nouvelles lois. Il dispose des plumes à la file en commençant par la plus petite ; chacune est suivie d’une autre moins longue, de sorte qu’elles semblent s’élever en pente ; c’est ainsi qu’à l’ordinaire vont grandissant les tuyaux inégaux de la flûte champêtre. Puis il attache ces plumes au milieu avec du lin, en bas avec de la cire et, après les avoir ainsi assemblées, il leur imprime une légère courbure pour imiter les oiseaux véritables. Le jeune Icare se tenait à ses côtés ; ignorant qu’il maniait les instruments de sa perte, le visage souriant, tantôt il saisissait au vol les plumes qu’emportait la brise vagabonde, tantôt il amollissait sous son pouce la cire blonde et, par ses jeux, il retardait le travail merveilleux de son père. Quand l’artisan a mis la dernière main à son ouvrage, il cherche à équilibrer de lui-même son corps sur ses deux ailes et il se balance au milieu des airs qu’il agite. Il donne aussi ses instructions à son fils : «Icare, lui dit-il, tiens-toi à mi-hauteur dans ton essor, je te le conseille : si tu descends trop bas, l’eau alourdira tes ailes ; si tu montes trop haut, l’ardeur du soleil les brûlera. Vole entre les deux. Je t’engage à ne pas fixer tes regards sur le Bouvier, sur Hélice et sur l’épée nue d’Orion : prends-moi pour seul guide de ta direction. »
En même temps, il lui enseigne l’art de voler et il adapte à ses épaules des ailes jusqu’alors inconnues. Au milieu de ce travail et de ces recommandations les joues du vieillard se mouillent de larmes ; un tremblement agite ses mains paternelles. Il donne à son fils des baisers qu’il ne devait pas renouveler et, s’enlevant d’un coup d’aile, il prend son vol en avant, inquiet pour son compagnon, comme l’oiseau qui, des hauteurs de son nid, a emmené à travers les airs sa jeune couvée ; il l’encourage à le suivre, il lui enseigne son art funeste et, tout en agitant ses propres ailes, il regarde derrière lui celles de son fils. Un pêcheur occupé à tendre des pièges aux poissons au bout de son roseau tremblant, un berger appuyé sur son bâton, un laboureur sur le manche de sa charrue les ont aperçus et sont restés saisis ; à la vue de ces hommes capables de traverser les airs, ils les ont pris pour des dieux. [...] L’enfant, tout entier au plaisir de son vol audacieux, abandonna son guide ; cédant à l’attrait du ciel, il se dirigea vers des régions plus élevées. Alors le voisinage du soleil rapide amollit la cire odorante qui fixait ses plumes ; et voilà la cire fondue ; il agite ses bras dépouillés ; privé des ailes qui lui servaient à ramer dans l’espace, il n’a plus de prise sur l’air ; sa bouche, qui criait le nom de son père, est engloutie dans l’onde azurée à laquelle il a donné son nom.
L’AUTEUR
« Quand, pour la première fois, j’ai entendu l’appel d’Icare, a commencé et recommencé pour moi le trajet qui mène aux chefs-d’œuvre de la peinture et nous ramène à nous-mêmes.
La rencontre avec une œuvre s’opère par coup de cœur et effet de choc puis semble se perdre dans l’épaisseur des jours. Mais le travail de maturation fait son chemin. L’œuvre inscrite dans notre mémoire profonde, vierge et vigilante à la fois, revient en force dans l’imagination. Le moment est venu de confirmer l’impression initiale qui nous avait saisi dans une sorte d’effroi.
Ce cheminement est long, difficile et infini. Jalonné d’étape en étape par les tableaux qui nous prennent et nous retiennent, il est encore à son commencement, mais déjà s’inscrit et s’écrit dans une sélection que j’intitule : Un tableau - Une voix. »
(Jacqueline Berny-Lapalus)
Parution : juillet 2011
Nb de pages : 40 p.
ISBN : 978-2351683965
Prix : 15 €